Voici le dernier volet de notre série d’articles sur les sportifs de haut niveau sous l’angle financier. Parce qu’il s’agit d’une activité professionnelle spécifique qui concentre de fortes sommes d’argent sur une période courte, nos champions nous fascinent certes par les exploits sportifs mais nous interrogent aussi sur la meilleure manière de tirer parti de leurs extraordinaires revenus.
Le sportif de haut niveau est confronté à une carrière courte et un corps qui constitue un capital très fragile avec lequel il prend des risques. Rappelons qu’il est rare de dépasser les 35 ans en fin de carrière, il dispose donc de peu de temps pour envisager l’après. Par ailleurs, tous les sports ne sont pas nécessairement très rémunérateurs, tout dépend principalement de l’exposition médiatique du sport. Ici nous nous intéressons au sportif qui profite d’une très bonne exposition médiatique qui se traduit par un potentiel économique fort.
Dès le début de sa carrière sportive, le sportif de haut niveau est amené à considérer qu’il doit planifier une solution de repli pour se protéger financièrement et entamer une seconde vie sereinement. Dès que sa notoriété décolle, en plus de ses gains de championnat ou de possibles rémunérations, les opportunités extra-sportives se multiplient ouvrant la possibilité à de spectaculaires partenariats dans le cadre d’exploitation d’image. Pour des raisons fiscales et de classification de ses revenus, il va rapidement monter une structure pour accueillir ses revenus de droit d’image. Ses hauts revenus, soumis à la fluctuation, l’engagent très vite dans une démarche d’investissement pour se constituer un capital générateur de revenus à la recherche de performance de rentabilité. Le sportif de haut niveau, même s’il va le plus souvent déléguer la partie financière, devient très rapidement un investisseur et un détenteur d’une ou plusieurs structures juridiques.
Dans le précédent article Sportifs des millionnaires prématurés, nous avons passé en revue les déboires financiers de certains grands sportifs à très hauts revenus. Fort heureusement, nombre d’entre eux réussissent à amorcer confortablement leur deuxième vie, voire seconde carrière. Ici l’objectif est d’aborder trois trajectoires qui peuvent bien évidemment se superposer, celles de l’investisseur, du chef d’entreprise et du passionné.
" C’est là qu’il entre dans la phase plus active qui lui donne une image ‘‘entrepreneuriale’’ car la puissance de ses capitaux a un réel impact sur les structures ciblées, ses fonds ne sont pas dilués parmi x actionnaires."
L’investisseur disposant d’une réelle force de frappe
Contrairement à l’investisseur traditionnel qui va construire un patrimoine s’appuyant sur des revenus réguliers et supposés durables, le sportif va exploiter sur une durée assez courte des revenus aléatoires avec une forte amplitude. S’impose alors à lui une réflexion sur la manière d’utiliser les montants exceptionnels qu’il perçoit afin d’exploiter le levier financier dont il dispose. Une fois l’achat immobilier abordé, il démarre son cycle de gestion de patrimoine et en fonction de ses sensibilités et de son appétence aux risques, il va investir ses capitaux dans différents produits financiers, rebondir sur des fonds spéculatifs et prendre des parts dans des entreprises. On retrouve alors :
l’investisseur ‘‘passif’’ qui délègue tout ou partie de la constitution de son portefeuille,
et celui qui est véritable partie prenante dans le choix et la recherche d’investissements, l’investisseur entrepreneur.
Durant son activité, le sportif à hauts revenus entre dans une période tunnel, dont le dimensionnement évolue, où il va investir dans tout un catalogue de produits d’investissement jusqu’à couvrir le spectre large de ces produits. Concrètement, il est le plus souvent conseillé par un Family Office qui prend en charge son portefeuille incluant une logique fiscale et de transmission, qui le consulte pour les arbitrages. En parallèle, dans une logique de diversification, il va investir dans des entreprises pour trouver un moyen plus concret de donner du sens à ses capitaux. Étant lui-même jeune, il est souvent très sensible aux jeunes entreprises innovantes et endosse rapidement un statut de business angel. Plus globalement, il va sélectionner des entreprises qui répondent à une cause qui lui tient à cœur, correspondent à ses passions et saisir des opportunités qui s’offrent à lui, car il exerce une attraction tant pour l’image qu’il véhicule, que pour ses ressources financières. C’est là qu’il entre dans la phase plus active qui lui donne une image ‘‘entrepreneuriale’’ car la puissance de ses capitaux a un réel impact sur les structures ciblées, ses fonds ne sont pas dilués parmi x actionnaires. Il peut alors bénéficier d’un poids décisionnaire dans les orientations stratégiques de l’entreprise, elle-même capitalisant sur l’image du précieux investisseur, qui lui octroi non seulement de la visibilité mais également de la crédibilité.
Parmi les 6 premiers grands sportifs milliardaires en 2024, nous avons 3 joueurs de basket, un catcheur, un tennisman et un golfeur. Tous sont américains à l’exception de l’ancien joueur de tennis et homme d’affaires Ion Tiriac qui est roumain. Sans surprise dans ce classement, nous retrouvons des américains en écho à la taille de marché d’un pays de 335 millions d’habitants. Le plus légendaire milliardaire est Michael Jordan au top 400 du magazine Forbes des grandes fortunes, celui qui, pour la jeune génération, est plus connu pour ses Air Jordan que ses talents de basketteur américain. Magic Johnson, son rival sur le terrain, est classé 6ième milliardaire.
Michael Jordan (basket US)
Son aventure avec Nike démarre en 1984 lorsque l’équipementier cherche un joueur à potentiel pour représenter un nouveau modèle de chaussure dédié au basket, segment que Nike cherche à développer, spécialisé au préalable en chaussures de courses et d'athlétisme. Le joueur est alors vedette de l’équipe des Bulls de Chicago, il dispose d’excellentes statistiques. Il remporte la médaille d'or aux Jeux olympiques d'été de 1984 avec l'équipe des États-Unis. Son ascension est fulgurante, il est sollicité de toutes parts pour des contrats publicitaires. Néanmoins, Michael Jordan ne connait pas Nike et il est plus intéressé à signer avec Adidas ou Converse, deux marques qui dominent le marché de la chaussure de basketball. Le partenariat avec Nike est signé pour 5 ans par son agent David Falk avec le soutien de sa mère. Un modèle est spécialement développé par Nike pour répondre à des caractéristiques techniques sur le terrain, plus des qualités esthétiques différenciantes, tout en répondant aux critères de la NBA.
La basket Air Jordan sort au début de la saison de 1985. La marque estime son potentiel de ventes à 3 millions de dollars. Ses prévisions se révèlent bien en-deçà de la réalité, c’est un véritable succès. Deux mois après le lancement, les ventes ont explosé et atteignent en fin d’année 100 millions de dollars. Fin 2023, Nike fait état dans son dernier rapport annuel de 6,6 milliards de dollars de recettes annuelles, marquant un CA toujours en progression.
En 2006, il investit dans la franchise de basketball Charlotte Hornets qu’il dirige à partir de 2010 en devenant le propriétaire principal. En 2019, il vend 20% de l’équipe pour une valeur de 1,5 milliards de dollars à des fonds spéculatifs. En aout 2023, il revend sa participation majoritaire de la franchise pour un montant de 3 milliards de dollars, soit 17 fois plus que la valeur estimée de 2010. Il investit dans différents secteurs, notamment des concessions automobiles, des restaurants, une marque de Tequila, etc. et il rachète différentes sociétés. Aujourd’hui Michael Jordan est le sportif le plus fortuné de la planète avec une fortune estimée à quelques 3,34 milliards d’euros.
Magic Johnson (basket US)
Earvin Johnson Jr, plus connu sous le nom de Magic Johnson dispose d’une fortune estimée à 1,1 milliards d’euros qui découle très majoritairement que ses investissements. Ses revenus issus de son sport auraient rapporté 40 millions de dollars sur 13 saisons, et pour la partie publicitaire en moyenne 2 à 4 millions par an. Il fait néanmoins figure d’exemple en matière d’investissement, non seulement dans les franchises sportives mais également grâce à ses investissements dans des domaines variés (salles de cinéma, restauration rapide, immobilier, les soins de santé) et surtout avec le fournisseur d'assurance-vie EquiTrust qui a été un accélérateur dans la constitution de sa fortune. Il montre très rapidement une appétence pour le monde des affaires qu’il souhaite introduire.
Dans les années 80, à l’époque où Nike cherche son ambassadeur pour lancer ses nouvelles baskets, Magic Johnson choisi Converse, marque majeure dans le basketball de l’époque. Il cède ainsi la place à son rival Michael Jordan avec le succès évoqué plus haut. Sur l’horizon, Magic Johnson va rater également d’autres opportunités avec certaines franchises sportives, lorsqu’il décline des offres à potentiel ou d’autres qu’il achète trop cher ou revend trop tôt.
À la même époque, il rencontre à l’occasion d’un match deux hommes d’affaires dont le patron de Sony Pictures et s’invite dans un cercle business pour participer à des simulations de réunions d’affaires, permettant de l’initier au monde des affaires. Les deux hommes deviennent ses mentors et c’est ainsi qu’il va construire sa fortune, par le biais de son réseau d’hommes d’affaires avec lesquels il va tisser des relations durables. En 1990, lors d’un déjeuner des cadres de PepsiCo, il signe un accord de 60 millions de dollars pour une prise de participation de 33% d’une usine d’embouteillage, une très bonne opération correspondant à 50% de la valeur réelle.
Par la suite, ses choix d’investissement sont guidés par une cause qui lui tient à cœur, la communauté noire. Il se lance dans des projets avec une démarche très concrète. En 1996, en plein cœur d’un quartier noir du sud de Los Angeles, quartier défavorisé sous emprise de la violence de gangs, il ouvre un premier multiplexe de salles de cinéma dans l’objectif de désamorcer les tensions et offrir des opportunités d’emploi à la communauté locale. Le cinéma va rapporter 5 millions de dollars au bout de 6 ans et entrer dans le cercle restreint des complexes les plus rentables des États-Unis. Fort de ce succès et des bienfaits apportés à la population à prédominance noire, il décline l’opération dans plusieurs grandes villes américaines. Dans la même logique d’apporter sa contribution à la communauté noire, il parvient à convaincre le PDG de Starbucks que la communauté afro-américaine présente un potentiel économique. Il crée un joint-venture avec Starbucks pour ouvrir des cafés dans les quartiers défavorisés et stigmatisés afin de créer une dynamique économique. Ce succès commercial lui permet de gagner le respect des investisseurs institutionnels. Il revend les cinéma en 2004 et sa participation avec Starbucks en 2010 en réalisant une bonne plus-value.
Il fait plusieurs opérations avec des fonds spéculatifs ce qui lui permet d’augmenter régulièrement ses capitaux. En 2015, il revend pour 1 milliard de dollars des parts investies dans Simply Healthcare ce qui va lui permettre d’acheter 60% de participation dans EquiTrust Life Insurance qui devient son actif le plus valorisé et rentable. En 2023, Equitrust pèse 26 milliards de dollars et engrange un chiffre d’affaires annuel d’environ 2,6 milliards de dollars.
Nos succès à la française
Parmi nos ''success stories" françaises, avec ceux qui ont su capitaliser sur leur notoriété pour investir dans différents secteurs, nous avons l’exemple de Tony Parker, basketteur français qui vise les traces de son idole Magic Johnson et notre triple médaillé olympique Teddy Riner pour le Judo.
Le footballeur français Blaise Matuidi est un autre exemple intéressant d’une nouvelle génération de globetrotteurs qui s’appuie sur la culture entrepreneuriale outre-Atlantique pour construire un modèle ingénieux qui repose sur la sphère d’influence.
Tony Parker (Basket FR)
Tony Parker, 42 ans, basketteur français, champion en NBA avec une longue carrière aux US, il fait ses investissements en France. Sa carrière américaine sur les 18 saisons de 2001 à fin 2019 lui a permis de cumuler 168 millions de dollars de salaire (dont 94% du montant sur 13 saisons). Grand admirateur de Magic Johnson, il suit ses conseils : « Profite de tes années de sportif en activité pour rencontrer un maximum de patrons car tu verras qu’après ta carrière, les portes se ferment vite. ». Il utilise ses déplacements pour rencontrer des hommes d’affaires américains, se construire un réseau solide et surtout apprendre. Cet aspect est révélateur d’une vision à long terme et une réflexion sérieuse sur les compétences et moyens à déployer pour construire sa seconde vie, là où il ambitionne de coupler profits et dimension éthique & solidaire . Comme beaucoup de sportifs, il a une grande capacité de travail et de la discipline, mais aussi, il aime apprendre, construire et faire grandir. Les compétences et principes acquis dans sa discipline vont être mis au service de ses nouvelles activités pour fédérer des équipes et les faire adhérer à un projet avec une volonté sincère d'améliorer le monde. En 2009 il devient actionnaire de ASVEL (club de basketball situé à Villeurbanne) et en 2014 il devient président de l’équipe et actionnaire majoritaire. C’est à partir de 2017 qu’il commence à investir dans des start-up dans l’univers du sport (Colizey, Vogo).
À la fin de sa carrière, en 2019, il applique les recommandations de Michael Jordan et Magic Johnson en équilibrant ses investissements entre sport et immobilier. Il diversifie ses investissements dans différents secteurs avec les stations de ski du domaine Alpin de Villard-de-Lans, il crée une écurie de chevaux, achète un haras, investit dans un vignoble avec Château St. Laurent, dans le champagne, dans la croisière de luxe, etc. Il ouvre en 2019 une académie à Lyon, centre de formation dédié aux plus de 15 ans qui souhaitent recevoir un enseignement de qualité tout en se destinant à une carrière de sportif, insufflant ainsi une culture de la performance et du succès. Il regroupe ses investissements (mêlant sport, art de vivre, éducation et la Tech) dans sa holding Infinity Nine Group qu’il fonde en 2022. Une partie des bénéfices est allouée à des projets sociaux (égalité des sexes et formation de jeunes). Tony Parker, c’est une ambition personnelle mêlée à une quête de sens avec des activités rémunératrices au service de la responsabilité sociale. Derrière l’investisseur-entrepreneur, se révèle un homme qui est animé par une mission, à l’image d’un Magic Johnson.
Teddy Riner (Judo FR)
Triple médaillé Olympique en Judo individuel, Teddy Riner, 35 ans, a lui aussi engagé sa reconversion en parallèle de sa carrière. Toujours en activité, celui qui a déclaré « Bon en revanche la Bourse, c’est nul, c’est bidon ! Ce n’est pas du tout l’idée que je me fais du business » est un véritable serial entrepreneur. Il fait partie de ces sportifs qui profitent d’un réseau assez exceptionnel, chefs d’état, hommes d’affaires, etc. On le sait proche du roi du Maroc, le roi Mohammed VI, il n’est donc guère étonnant qu’il ait accompagné le chef de l’état dans la délégation présidentielle lors du voyage au Maroc datant d’octobre dernier.
Comme la plupart de nos sportifs, Teddy crée en 2008 et 2009 deux sociétés, l’une pour gérer les revenus de ses contrats publicitaires, l’autre pour la gestion de son image et investir dans les contenus audiovisuels. En 2011, il crée une structure pour les locations immobilières.
On retrouve des similitudes dans ses activités extra-sportives avec Tony Parker. Ils se rencontrent en 2008 dans les locaux de RMC et tissent rapidement des liens d’amitié jusqu’à s’impliquer ensemble sur plusieurs projets. Ici nous avons deux champions qui se côtoient, malgré des disciplines différentes, un exerce en individuel, l’autre en collectif, peu importe les parcours géographiques, deux générations différentes, 7 ans les séparent.
À titre d’exemple, dans son parcours d’investisseur-entrepreneur, on retrouve :
En 2019, à l’instar de Tony Parker, Teddy Riner fonde, la même année que son comparse, une académie ouverte à tous qui forme aux métiers du sport.
En 2020, il fonde avec Tony Parker la société T & T Global Management (finances, family office, conciergerie, conseil juridique, business opportunity) qui accompagne des sportifs de haut niveau durant leur carrière en matière fiscale.
En 2021, il investit comme Tony Parker dans Colizey (startup dans l’offre d’équipement sportif en ligne), la marque utilise l’image des deux sportifs comme référents de confiance.
Durant la même année, il crée sa propre agence de marketing sportif, In&Out, pour accompagner les sportifs dans leur développement de carrière et leur communication et devient actionnaire des Agences de Papa, un réseau immobilier.
En 2022, il cofonde Fightart, une entreprise spécialisée dans la vente d'équipements sportifs dédiée aux arts martiaux avec Nicolas Poy-Tardieu (directeur marketing d’Adidas). Il ouvre plusieurs écoles à travers la France.
C’est également un homme investi dans des causes qui lui tiennent à cœur. Il s’engage assez tôt et devient en 2012 parrain de l’institut des maladies génétiques IMAGINE (campus de l'Hôpital Necker), se rend régulièrement dans les hôpitaux pour rencontrer les enfants. En 2018, il devient ambassadeur de l’UNICEF.
Blaize Matuidi (football FR)
Footballeur international, Blaize Matuidi, 37 ans, est installé depuis 2020 à Miami en Floride, là où il termine sa carrière en 2022 au club de David Beckam. Il fait également partie des hommes engagés pour notamment la réinsertion des jeunes dans le sport et dans des œuvres caritatives pour les enfants défavorisés. Comme ses homologues sportifs, il a créé plusieurs structures juridiques pour accueillir ses revenus d’image, mais également dans l’immobilier.
Durant son contrat en Floride, il rencontre l’investisseur français Illan Abehassera avec lequel il partage son appétence au secteur de la Tech. Blaize Matuidi comprend que même en sortant de l’exposition médiatique, il va conserver un capital notoriété qu’il pourra exploiter au sein de son propre réseau. En 2022, il s’associe à Illan Abehassera et à un deuxième investisseur français Salomon Aiach pour créer le fonds d’investissement Origins qui a pour objectif de soutenir financièrement les startups dans le monde de la Tech en Europe et aux États-Unis. Pour se différencier des autres fonds, la stratégie repose sur l’acquisition de sportifs investisseurs à fort potentiel économique, pour offrir aux start-ups en portefeuille leur influence et leur notoriété car chacun amène son public. En réussissant à convaincre de grands noms sportifs, le fonds lui-même bénéficie de l’aura de ses investisseurs. Cette stratégie de prescription lui permet de puiser dans un large vivier de sportifs fortunés. Une approche ingénieuse qui attaque la sphère d’influence sur les deux tableaux.
Plusieurs sportifs investissent dans le fonds comme Paulo Dybala, N’Golo Kante, Olivier Giroud, etc. mais aussi Kevin Durant et Stephen Curry (basketteurs NBA élus chacun plusieurs fois meilleur joueur) ou encore Serena Williams (championne de tennis et ‘‘accro’’ aux fonds d’investissement à la tête de Serena Ventures avec 76 sociétés en portefeuille).
" Tout comme le sportif qui s’équipe de professionnels pour l’aider dans différents domaines, le dirigeant d’entreprise sait qu’il ne peut pas réussir seul, sinon il va stagner. Il doit s’entourer d’une équipe qui comprend et partage sa vision, associer des talents et des égos, des personnes de confiance qui vont le porter vers son objectif. "
Le chef d'entreprise, le combo gagnant
L’univers sport et le monde de l’entreprise sont assez proches par la forme des enjeux et par leurs dynamiques. Le sportif de haut niveau est un challenger qui affronte les meilleurs, il a l’ambition de gagner la plus haute place et d’aller au-delà pour parvenir à l’excellence pour imposer ses performances en effaçant celles de ses légendaires prédécesseurs. Il a une envie et une vision. Le chef d’entreprise est lui aussi audacieux, il accepte de sortir de sa zone de confort, il n’a pas d’aversion au risque, il se focalise sur des objectifs.
Les similitudes par les enjeux et les dynamiques
Tout comme le sportif qui s’équipe de professionnels pour l’aider dans différents domaines, le dirigeant d’entreprise sait qu’il ne peut pas réussir seul, sinon il va stagner. Il doit s’entourer d’une équipe qui comprend et partage sa vision, associer des talents et des égos, des personnes de confiance qui vont le porter vers son objectif. Le monde de l’entreprise reconnait au sport des qualités applicables dans son activité, notamment pour stimuler l’encadrement et fédérer des équipes autour d’un objectif. Il n’est pas rare que l’entreprise fasse appel à des coachs sportifs pour des séminaires ou même faciliter la pratique sportive sur le lieu de travail. Le sport en entreprise permet aux équipes de se rencontrer, de créer des synergies, mais il permet aussi d’oxygéner le cerveau, de fabriquer de la sérotonine, dopamine et endorphine permettant de libérer le corps des tensions, d’être créatif, plus rapide et lucide dans les décisions.
Il existe plusieurs qualités chez le sportif de haut niveau que l’on peut mettre en parallèle avec le dirigeant d’entreprise : le mental, la rigueur, la stratégie.
Le mental
Sa capacité à performer sur la scène sportive et à fournir sur un moment précis le dépassement en décuplant sa puissance, le sportif le tient à son mental. Il doit lutter contre la pression de son adversaire pour imposer sa propre pression afin de prendre l’ascendant sur le match ou la compétition. On retrouve là des similitudes avec le chef d’entreprise qui doit également gérer ses émotions, sa concentration et sa résistance au stress. Le dirigeant d’entreprise, dans son domaine, est amené à concentrer toute son énergie à des étapes clés de son activité pour convaincre ses interlocuteurs et imposer sa vision. À l’instar d’un sportif de haut niveau, lui va également s’entrainer en amont, en travaillant sa posture, ses éléments de langage, les arguments, en anticipant les objections, se projeter mentalement. Qu’il s’agisse de présentation budgétaire, d’assemblée des actionnaires, de rencontres avec des investisseurs, clients ou fournisseurs vitaux, le chef d’entreprise connait ces moments de pression où il va sortir totalement vidé avec le sentiment d’avoir parcouru un marathon car les enjeux sont cruciaux pour son entreprise. Au terme d’un rendez-vous difficile, comme pour le débriefing du sportif, le dirigeant prend du recul, analyse les moments décisifs, positifs comme négatifs, pour se libérer de la pression, se rassurer et se repositionner.
La carrière d’un sportif est parsemée de moments de doutes et de défaites, son mental est un atout majeur. Le sportif ne connaît pas que la réussite, il est constamment exposé aux exploits de ses adversaires mais également à ses propres contre-performances. Il sait analyser les causes de ses échecs et évaluer ses opportunités objectives pour prendre ou reprendre une place sur l’échiquier des leaders. La remise en question permanente provoquée par le stress des compétitions et les résultats décalés par rapport à ses objectifs en font un expert dans l’analyse des échecs et il dispose d’une réelle capacité à rebondir. Pour le chef d’entreprise c’est pareil, il connait des échecs, qu’il en soit responsable ou que cela soit lié à des conditions particulières exogènes, il doit être force de résilience face à l'échec, en analyser les causes, se remettre en question, se remobiliser et chercher à se repositionner en déployant des conditions plus favorables à sa réussite.
Les succès amènent à la confiance. Le sportif est un conquérant qui gagne en assurance, exprime l’invincibilité durant les épreuves qui contraste parfois avec l’humilité dès la sortie de l’arène. Le champion sait qu’il est fragile sur la durée, que son corps peut le lâcher à tout moment, que la concurrence est rude et qu’un talent peut très rapidement émerger. Le dirigeant d’entreprise est souvent un personnage charismatique, il connait ses forces et faiblesses, il travaille une stature rassurante pour confirmer son expertise dans son métier.
La rigueur
Le sportif est contraint à la rigueur s’il veut ‘‘performer’’. Qu’il s’agisse d’entrainement intensif, de strict régime alimentaire, de résistance à la douleur, il est résilient à l’effort, à la souffrance, dispose d’une énorme capacité de travail et ne connaît pas les week-ends. Il est précis, organisé et déterminé. Le chef d’entreprise lui non plus ne lésine pas sur son investissement, il doit être résistant à l’effort, persévérant, il n’a pas d’horaire, s’implique dans plusieurs domaines liés à son activité, il est agile et flexible. Pour ne pas se faire déborder et être résistant sur la durée, il doit s’imposer de la régularité, être structuré, savoir relativiser et hiérarchiser les urgences et rester dans ses prérogatives.
Là où les deux univers sont supposés être les plus comparables, c’est sur la bonne tenue des échéances et le niveau de qualité attendue. C’est là qu’intervient l’outil incontournable du sportif et du chef d’entreprise : les indicateurs de performance. Les indicateurs pour le sportif sont facilement mesurables qualitativement et quantitativement tels que son classement en fonction de ses victoires et que les statistiques de ses résultats techniques en solo ou au sein d’une équipe. Il raisonne par saison sportive et se fixe des objectifs objectivement mesurables pour les compétitions qu’il vise. Le chef d’entreprise en bon gestionnaire va établir différents types de budget sur des horizons définis dont il va vérifier la bonne tenue et va piloter son activité avec des indicateurs de performance.
La stratégie
Le sportif comprend la notion de produit, car il est lui-même le produit. Il est conscient des enjeux financiers. Tout au long de sa carrière, le sportif est confronter à des enjeux commerciaux extra-sportifs pour la négociation de contrats sportifs et la recherche de sponsors. Pour exploiter au mieux son potentiel économique, il doit travailler son image, développer son réseau pour décrocher des partenariats rémunérateurs.
Pour gagner, le sportif ne peut pas seulement s’appuyer sur ses qualités physiques et mentales, il doit établir une stratégie gagnante. La concurrence est inhérente au sport, il s’agit bien d’affronter les meilleurs sinon il n’y a pas de match. Le sportif va se positionner sur l’échiquier des meilleurs, pour se distinguer et gagner, il doit connaitre son potentiel et analyser les forces et faiblesses de l’adversaire pour trouver le bon angle d’attaque. Dans le sport collectif, on ajuste le placement des ressources faces à l’équipe adverse, on planifie des actions que l’on va réajuster en fonction de l’avancement du match. En amont, il y a bien une préparation pour aborder les saisons et elle est tactique. Qu’elle soit physique, mentale, liée à l’encadrement, à l’équipement, la technologie, elle est également budgétaire car il faut la financer. Le sportif se dessine des objectifs réalisables avec des étapes concrètes dont les résultats sont mesurables. Il peut redimensionner les moyens selon ses ambitions pour les prochains cycles en fonction des résultats obtenus. Son approche est très similaire à celle du chef d’entreprise qui, à l’appui d’une vision et conviction, va établir un business plan avec tous les éléments que l’on connait et qui tout au long du développement de son activité, va oser faire évoluer son modèle en déployant des stratégies, sans jamais être sûr, lui aussi, du résultat.
Des sportifs reconvertis en chef d'entreprise
Dans la série d’exemples de sportifs reconvertis avec succès en chef d’entreprise, nous avons :
Le champion de tennis René Lacoste
L’homme ingénieux a brisé les codes vestimentaires avec son logo ostentatoire qui l’a fait rentrer dans la légende. Par curieuse ironie, ses enfants, successeurs à la tête de l’entreprise ont essuyé un revers avec sa marque de fabrique : le crocodile version asiatique.
Eden Park, une entreprise qui sort de la mêlée
La marque est née de l’opportunité d’un effet de communication, entreprise créée par deux joueurs de rugby internationaux : Franck Mesnel et Eric Blanc.
Mathieu Flamini du football à la pétrochimie
L’innovation au service du développement durable, quand les journalistes sportifs valorisent entreprise et potentiel de marché…
Lacoste, l’ingénieuse idée du crocodile
Lorsque l’on évoque la reconversion en chef d’entreprise, on pense assez naturellement à l’univers du sportwear avec notamment le polo Lacoste. Retour aux années 1920 où le tennis est une activité sportive réservée alors à une CSP privilégiée. René Lacoste, ingénieur de formation, est en pleine ascension sur les cours fraîchement nommés Roland Garros. Il fait partie des fameux 4 mousquetaires français qui brillent sur les différentes surfaces des 5 tournois internationaux jusqu’au années 30. René Lacoste est un homme visionnaire qui a innové et réinventé tout au long de sa vie. Il est notamment l’inventeur de la machine à lancer les balles et de la première raquette en acier qui va révolutionner le tennis et ouvrir la voie à l’industrie des modèles actuels. Sa véritable aventure est celle de son entreprise Lacoste, devenue une véritable multinationale de près de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, tombée depuis dans l’escarcelle du groupe suisse Maus Frères (4,38 milliards d’euros).
Il commence à porter le polo en jersey petit piqué sur les courts dès les années 1920. Par la suite, après avoir été surnommé ‘‘le crocodile’’, il arbore un petit crocodile brodé sur ses blazers en 1927. La marque du polo en petit piqué de coton voit le jour en 1933 dans l’Aube à Troyes en partenariat avec l’industriel Angré Gillier (polytechnicien). La grande particularité du polo est d’afficher, pour la première fois de manière ostentatoire sur un vêtement, le logo de son fabriquant. C’est probablement là son coup de génie. Le polo est en premier lieu destiné aux joueurs de tennis puis de golf. Au fil des décennies, la marque se diversifie et s’impose à l’international jusqu’à devenir l’accessoire sportwear tendance du bourgeois des années 80. Le succès l’expose très vite au plagiat, surfant sur l’ambiguïté du code du crocodile, il est largement copié par des productions asiatiques, ce qui aura pour conséquence d’inonder le marché et de lasser son public.
Dès la fin des années 60, la marque commence à être confrontée à la contrefaçon, elle vient de l’Amérique du Sud, puis elle se déplace en Asie où elle devient prédominante. Fin des années 80, le groupe part à la conquête de la bourgeoisie asiatique (paradis de la contrefaçon) en accordant une licence de distribution de sa marque et permettant également une production locale. L’opération vise à bénéficier de la bienveillance des autorités locales pour protéger la propriété de la marque et contrer la contrefaçon. En parallèle, la maison mère en France met en place une cellule d’experts dédiée à la lutte de la contrefaçon avec une équipe de juristes et divers conseils ainsi que des investigateurs dans le monde entier. Avec l’avènement d’internet dans les années 2000, l’accès à la marchandise de contrefaçon se démocratise et devient exponentielle.
Aujourd’hui plus aucune marque, aucun secteur n’est épargné par les entreprises chinoises qui parviennent même à innover dans le secteur de la contrefaçon. On parle désormais de parafaçon, une nouvelle technique très décomplexée : le Pingti. Le Pingti est une réplique haut de gamme d’un produit de luxe, qui rivalise en terme de qualité et souvent fabriquée sur les mêmes lignes de production que l’original. Le produit est comparable mais le prix est bien plus abordable. Le logo de la marque cible est habillement modifié pour éviter les poursuites judiciaires, parfois il est accessoirisé pour être transformé en ‘‘original’’ par le consommateur lui-même. Les produits Pingti sont soutenus par des influenceurs qui se filment fièrement équipés de ces produits de luxe, tout en révélant très ouvertement l’astuce très à la mode du ‘‘logo modulable’’. Une nouvelle génération de consommateurs est née, qu’importe qu’il s’agisse d’une copie, le vol de la propriété intellectuelle semble être entré sans complexe dans les mœurs.
Eden Park, la marque French Flair ou l’intuition à la française
L’histoire commence en 1987, lors de la première finale de la coupe du monde de rugby en Nouvelle-Zélande, au stade de l’Eden-Park où jouent les All Blacks (équipe rivale historique du XV de France). Après avoir battu l’Australie en demi-finale, la France va perdre en finale face à la Nouvelle-Zélande. Comme l’un des joueurs avait au préalable joué sur le terrain avec un béret pour mettre en valeur ses origines, les journalistes défient l’équipe de jouer avec un accessoire pour l’évènement.
L’idée du nœud papillon apparait à l’occasion d’un dîner avant la finale, cherchant un attribut original et chic à arborer durant la finale pour célébrer l’exploit. À défaut de pouvoir jouer en smoking, ils réduisent le concept au nœud papillon plus facile à porter sur le terrain, ce qui déclenche un effet médiatique. Cette explosion médiatique pousse Franck Mesnel à réfléchir au meilleur coup de communication avec lequel rebondir : un vêtement avec le logo en nœud papillon rose (en référence à la couleur du club) s’impose. À l’époque, le rugby n’est pas un sport rémunérateur, les joueurs vivent de leur activité professionnelle dans le privé. Avec son co-équipier Éric blanc, ils décident alors de créer une marque de vêtement haut de gamme à la française dont l’inspiration et les codes proviennent d’une « histoire extraordinaire et authentique ». C’est là que naît le concept Eden Park au nœud papillon rose. Franck Mesnel crée la même année, avec sa femme Nathalie, la société CINQ-HUITIEMES dont il va devenir président du directoire, société qui va par la suite exploiter et développer la future marque Eden Park.
C’est à l’occasion de la première collection de maillot de rugby de type casual (style vestimentaire élégant et non formel) que les deux comparses déposent la marque Eden Park en novembre 1988, Franck Mesnel a alors 27 ans et Éric Blanc 29 ans. Ils ouvrent une première boutique Eden Park dans le 17 e à Paris l'année suivante. Ils lancent un partenariat avec Peugeot et après plusieurs magasins sur Paris, ils ouvrent un première boutique à Londres. Se poursuit les implantations à Strasbourg et Marseille puis ils lancent une déclinaison de marque pour une ligne féminine ‘‘For Her’’. La marque diversifie ses familles de produit avec une collection de cosmétique. Le groupe poursuit son expansion à l’étranger en ouvrant des franchises jusqu’à pénétrer le marché taiwanais en lançant un partenariat avec la Toyota Land Cruiser. Spécialisée dans les partenariats avec les constructeurs automobiles, l’entreprise renouvelle l’opération avec le constructeur britannique Range Rover. Elle vise désormais le développement de ses activités aux Etats-Unis via le commerce en ligne.
Pour ancrer le lien de la marque avec le rugby, Eden Park devient équipementier pour les tenues d’après-match ‘‘partenaire d’élégance’’ pour les équipes de France, du Pays de Galles et de l’Irlande.
Avec un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros en 2023 et 70 magasins, Eden Park s’impose comme une marque de référence de l’élégance non formelle à la Française. En écho, nous pourrions croire qu’Eden Park s’appuie sur le savoir-faire d’une industrie à la française. L’entreprise a dès le départ décliné la stratégie de sourcing industriel de l’époque, les années 80-90, en délégant la production hors hexagone pour des raisons économiques. Aujourd’hui, la production est faite au Pérou, Portugal et Europe de l’Est où le coût de la masse salariale est bien inférieure.
Mathieu Flamini, l’homme qui valait 30 milliards
Footballeur marseillais avec un parcours à l’international (France, UK, Italie, Espagne), Mathieu Flamini, 40 ans est un homme qui a démarré très tôt en secret une activité entrepreneuriale. Alors que la plupart des sportifs qui engagent une deuxième vie à la tête d’une entreprise se tournent assez logiquement dans l’équipement sportif, le secteur de la pétrochimie choisi par Mathieu Flamini semble un peu moins intuitif.
Pourtant, le marseillais sensible à l’environnement, avec la mer et la montagne à proximité, est à l’époque à l’Arsenal FC (club anglais), nous sommes en 2008, il a 28 ans et il démarre en secret son aventure GF Biochimicals avec Pasquale Granata rencontré à l’AC de Milan, un entrepreneur italien. L’objectif est de développer une activité pour contribuer à la lutte contre le changement et le réchauffement climatique. GF Biochimicals a alors vocation à produire à l’échelle industrielle des substituts biosourcés et biodégradables pour remplacer les composés chimiques issus des produits pétroliers. Les deux entrepreneurs s’entourent d’ingénieurs et chercheurs en développant des partenariats avec des universités expertes dans le domaine de la chimie du renouvelable.
L’entreprise sort de l’anonymat et communique sur son activité fin 2015. Quelques mois après, en 2016, à la tête d’une équipe de 80 personnes, ils lancent la production aux États-Unis et deviennent les 1ers au monde à pouvoir fabriquer de acide lévulinique 100% naturel (substitut au pétrole) à partir de déchets de bois et de maïs.
En 2017, Mathieu Flamini est cité dans l’affaire des Paradise Papers en tant qu’actionnaire de plusieurs sociétés écrans, ce qui l’amène à transférer sa société aux Pays-Bas (où est basé l’équipe R&D) puis en France. Après divers articles spéculant sur sa fortune en 2018, la presse espagnole évalue ses investissements dans GF Biochimicals à 30 milliards de dollars. Matthieu Flamini alors réfute en précisant que les 30 milliards de dollars évoqués par la presse correspondent la valorisation globale du marché des produits biochimiques.
En 2022 GF Biochimicals lève un tour de série A de 15 M€ par l’intermédiaire du fonds capital-risque français Sofinnova Partners et la participation de Sparta Capital. Aujourd’hui GFBiochemicals possède des bureaux et des installations de R&D aux Pays-Bas et aux États-Unis, des opérations en Inde et dispose de plus de 200 brevets actifs dans 40 familles de brevets.
Le passionné jusqu'au-boutiste sportif
Dès lors que les performances baissent, les propositions de contrats se font plus rares. Après avoir vécu des moments forts et intenses, avoir été sous la lumière et fait partie des meilleurs, difficile d’accepter d’envisager de quitter sa passion parce que son corps commence à émettre des signes de faiblesse. Lorsque les revenus baissent, le sportif de haut niveau sent cette mise en retrait qui s’amorce. Pourtant, il a encore toute une vie professionnelle qui peut continuer à s’écrire dans sa passion, le cœur vibrant aux bruits des stades et des odeurs qui lui sont familiers.
Dans le sport collectif, le management gère la pyramide des âges et anticipe le renouvèlement. Cependant, il est moins compliqué de rester dans son sport dès lors que l’on accepte de percevoir une rémunération bien en-deçà. À partir du moment où le sportif a fait ses preuves au sein d’une équipe, son expérience et sa technicité sont autant d’éléments qui peuvent constituer un avantage pour aider à faire grandir la nouvelle génération. Par ailleurs, l’aura de sa notoriété, même si elle s’étiole, peut aussi se révéler être un atout économique et un élément attractif pour un club. Hugo Lloris et Olivier Giroud ont choisi de poursuivre leur carrière à Los Angeles, dont l’un avec une baisse de revenus très significative.
En revanche, en sport individuel, la meilleur façon de poursuivre dans son sport est d’apporter son expertise en devenant, coach, conseiller, préparateur, diététicien, prendre la direction d’un club, d’une fédération ou dans l’administration… Nous avons l’exemple de Tony Estanguet à qui l’on doit la préparation et livraison des JO de Paris 2024.
Hugo Lloris et Olivier Giroud, sous le soleil de la Californie
Hugo Lloris (gardien de but) et Olivier Giroud (attaquant), respectivement 37 ans et 38 ans, ont choisi de signer un contrat au Los Angeles Football Club. Hugo Lloris est le 1er à signer en 2023 en quittant le club anglais Tottenham Hotspur, Olivier Giroud quitte l’AC Milan et le rejoint en 2024. Nos deux anciens internationaux français ont d’ailleurs très récemment brillé en septembre dernier, l’un en bloquant les attaques adverses l’autre en ouvrant au score, l’équipe du Los Angeles FC remportant ainsi la finale de la coupe des États-Unis 2024. Cela prouve qu’au-delà d’endosser le maillot de ‘‘grand-frère’’ au sein d’une jeune équipe, d’offrir un équilibre générationnel poussant à la maturité, nos deux champions ont encore de très belles choses à accomplir sur le terrain. Il est intéressant de voir dans quel contexte ils ont répondu favorablement à la proposition du club.
L’économie du sport rapportée à l’échelle mondiale a atteint, en 2023, 800 milliards de dollars de flux de revenus (salaires, transferts, contrats de sponsoring et droits de diffusion). Dans les quatre premiers sports, nous retrouvons le Golf, la Boxe, le Basket-ball et le football, le sport roi. Il n’est donc pas étonnant que les USA cherchent à développer le marché du football (soccer en américain) sur son territoire et à se tailler une place sur le marché international, là où ils sont absents. Les spéculations sur les franchises sportives permettent de réaliser de très belles plus-values aux US et les droits de diffusion, sans oublier le merchandising, présentent de réelles opportunités financières sur le marché.
Le soccer est probablement un sport collectif moins spectaculaire aux yeux des américains qui lui préfèrent le football américain, mais il présente un véritable potentiel financier sous condition d’une meilleure visibilité. C’est d’ailleurs ce qu’a bien compris la plateforme de streaming d’Apple TV. Pour la 1ere année, avec un contrat pour 10 ans s’élevant à 2,5 milliards de dollars, la Major League Soccer (MLS) de 2024 est diffusée sur Apple TV. Parmi les conditions négociées par Apple TV, la programmation des matchs a été aménagée sur les horaires et jours de match afin de présenter une offre complémentaire avec les autres grands sports américains. Faut-il également attendre une déclinaison ‘‘soccer’’ à la série à succès Ted Lasso d’Apple TV+ pour soutenir l’intérêt de la discipline ?
Le Los Angeles Football Club est assez récent, il date de 2014 et il a été intégré en tant que nouvelle franchise d’expansion de la Major League Soccer (MLS) en 2018. Le club (financé par capital risque) a alors pour ambition de devenir une des meilleurs équipes MLS à un horizon de 5 ans. La Major s’appuie sur des talents sud-américains et européens ce qui permet de participer à la filière d’échanges et de valoriser les clubs d’une manière bilatérale. Les club américains cherchent des compétences dans les pays qui ont une culture bien ancrée dans le football pour faire infuser du savoir-faire et savoir-être dans leurs équipes. Une stratégie qui apporte de la qualité et prépare les clubs américains à percer le marché qu’ils souhaitent dominer. Le Los Angeles FC devient champion de la Coupe MLS en 2022 qui oppose les équipes de la côte ouest à celle de l’est. En 2024, au classement général provisoire, le club de Los Angeles est actuellement 1er au classement de l’ouest mais 3ième face aux équipes l’est (derrière l’Inter de Miami et le Crew de Columbus).
Pourtant les rémunérations offertes par les clubs américains sont en-deçà de ce qui est pratiqué par les autres clubs internationaux. Cela tient au fait que c’est la MLS qui est propriétaire des contrats des joueurs professionnels. C’est elle qui attribue un budget de masse salariale à distribuer sur une équipe et impose des règles d’attribution dont salaire minimum et maximum. Cependant, un salaire exceptionnel réservé exclusivement à 3 joueurs (la règle du joueur désigné aussi appelée la règle Beckham) permet une exception au plafond salarial et une prise en charge partielle par son club.
Pour la saison 2024-2025, la masse salariale du Los Angeles FC est de 20,3 millions de dollars (18,8 M€), dont 3,38 M€ pour l’attaquant Olivier Giroud et 0,32 M€ pour Hugo Lloris (25 K€ brut mensuel). On comprend ainsi qu’Olivier Giroud fait partie des 3 joueurs désignés pour le dépassement salarial (très légèrement inférieur à l’AC Milan) et que le grand perdant dans l’opération est Hugo Lloris. Pourtant les saoudiens avaient proposé à Hugo Lloris un salaire fin de carrière 3 fois supérieurs à celui qu’il avait à l’époque au club anglais Tottenham Hotspur, là où il gagnait 6 M€/an. Hugo Lloris, celui qui se tient à distance des réseaux sociaux, explique qu’il est arrivé au top de sa carrière sportive et que désormais ce sont ses choix personnels qui l’emportent. À noter qu’Hugo Lloris est toujours sous contrat avec Nike pour les chaussures et la marque Reusch (Uhlsport) pour les gants avec qui il a développé sa propre paire. Ces deux partenariats lui rapporteraient 1 million d’euros par an.
Difficile de spéculer sur les réelles motivations qui ont amené Hugo à Los Angeles. Pour le niçois français, fils d’un banquier monégasque et d’une mère avocate, le montant de ses gains gagnés tout au long de sa carrière laisse supposer qu’il est à l’abri. L’occasion peut-être d’entamer une douce fin de carrière, vivre une vie de famille plus accomplie et l’opportunité de poser ses valises dans le cadre idyllique californien. Cependant, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a toujours un projet derrière une action. Rappelons que Blaise Matuidi termine sa carrière à l’Inter de Miami de Floride en 2022, avec un salaire 3,5 x inférieur à celui de la Juvantus de Milan, pour lancer son fonds d’investissement Origins à grands coups de communication.
Los Angeles, capitale de l’industrie cinématographique et télévisuelle va accueillir les JO en 2028. La ville réunit 60% des sièges sociaux des entreprises de son état. Il est fréquent d’entendre que si la Californie était indépendante, elle constituerait la 5ième puissance économique mondiale. Pour Los Angeles, l’impact économique du sport est conséquent : il a atteint presque 12 milliards en 2023, soit une progression de 22% sur un an. La croissance est due au sport professionnel, aux rencontres et à l’animation des ligues majeures que la ville regroupe (MLB, MLS, NBA, etc.). La perspective des JO dans 4 ans avec les investissements en cours de déploiement et les opportunités qui en découlent font de Los Angeles une ville très attractive pour les sportifs. Pour nos deux jeunes séniors, c’est également la possibilité de s’offrir la plus belle fin de carrière au centre du monde de la compétition.
Tony Estanguet, d'olympiade en olympiade
Triple champion olympique en individuel du canoë monoplace slalom sur trois Olympiades (Sydney, Athènes, Londres), Tony Estanguet met fin à sa carrière à 34 ans en 2012. C’est dans la même année qu’il est élu à la commission des athlètes du Comité International Olympique (CIO) pour une durée de 8 ans, et formellement à partir de 2013. La ministre des sports de l’époque lui confie alors la mission de promouvoir les candidatures françaises à l'organisation des JO. C’est ainsi qu’il contribue à l’étude d’opportunité et mène campagne pour la candidature de Paris aux JO d’été de 2024. Après officialisation de la candidature de la France aux JO 2024, Tony Estanguet intervient à la COP 21 pour souligner l’ambition de Paris de proposer un nouveau modèle avec des Jeux « propres et responsables ». En 2017, Paris est officiellement désignée ville hôte pour les JO 2024 et il prend alors la présidence du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques pour l’édition française. Il devient alors l’interlocuteur privilégié entre le CIO et les diverses parties prenantes de l’hexagone, chacun selon son périmètre, qu’il s’agisse du monde sportif, de partenaires privés et d’acteurs publics (mairie de Paris, région Île-de-France, les départements et villes mobilisés ainsi que le gouvernement).
Les JO Paris 2024 marquent la réussite de Tony Estanguet qui le propulse, à 46 ans, à la commission de coordination du CIO pour les futurs JO de Los Angeles 2028 afin d’apporter son expérience acquise. Sans vouloir rentrer dans la polémique de la rémunération dont il a bénéficié dont la presse s’est faite écho tout au long de l’année, cette aventure lui a offert l’opportunité de rester dans la course en s’assumant financièrement tout en préservant un épanouissement professionnel. La poursuite à la commission de coordination pour les prochains JO lui permet une transition moins brutale financièrement et émotionnellement après avoir vécu avec intensité toute la période préparatoire et assuré la livraison de nos JO. Cela lui permet de maintenir un réseau actif et de prolonger des opportunités professionnelles notamment en consulting. Tony Estanguet, homme déterminé à la recherche de l’excellence, est l’exemple du sportif qui inspire le respect et l’admiration et qui sait s’imposer grâce à son leadership.
" Notre travail consiste à comprendre tous les éléments qui vous caractérisent car ils nous obligent à une réelle réflexion pour ajuster des dispositions et calibrer des ambitions de patrimoine cohérents et qui répondent au mieux à vos intérêts."
Pour clore ces trois articles
Lorsque l’on évoque les sportifs de haut niveau, on leur associe une image de riches privilégiés, comme si cela en découlait naturellement. Bien évidemment, l’excellence induit un équivalent financier, néanmoins l’ascension financière implique que le sportif doit en comprendre les rudiments et pour cela il doit se faire accompagner. Il ne peut pas assurer seul la chaine de compétences nécessaires pour maitriser la sécurisation et l’équilibre financier auxquels il aspire. À travers ces trois articles, Alerte graine de champion ! sur la manière de percevoir financièrement un espoir sportif, Sportifs de haut niveau, des millionnaires prématurés rappelant certes que le sport est porteur de valeurs mais surtout une réelle opportunité financière sous condition de mettre en place des mécanismes sécurisants et d’optimisation, et ce dernier volet qui conclut la carrière sportive vers la réussite financière d’une seconde vie, j’espère qu’ils ont soulevé des interrogations et fait murir une réflexion en vous.
Alors que retenir de cet exemple du sportif de haut niveau ? Principalement que tout ce qui le caractérise est au paroxysme, durée de la carrière, risques physiques, revenus exceptionnels, surexposition médiatique, mobilité internationale, fraîcheur de la jeunesse, spectre large de discipline avec son lot de spécificités et bien évidemment une pluralité de personnalités. L’accompagnement dans la gestion de son patrimoine met en lumière que l’on doit bien s’attacher à son contexte particulier personnel et professionnel pour lui trouver une place parmi des règles fiscales, le protéger matrimonialement, sécuriser son capital et définir une stratégie d’investissement dans le cadre de revenus à caractère exceptionnel. Comme vous l’aurez bien noté, des mécanismes traditionnels de développement de patrimoine, comme par exemple utiliser le levier de l’endettement, sont contre-nature à moins d’un projet particulier. Comprendre son environnement, les codes de son métier, les risques auxquels il est exposé pour mettre en place une stratégie adaptée à la spécificité de son activité, mais également calibrée avec son potentiel économique et là on aborde la notion d’échelle. Par ailleurs, un investisseur traditionnel a généralement une certaine maturité, là il s’agit d’une population relativement jeune, très ambitieuse, fascinée par ses jeunes pères et qu’il faut accompagner dès ses débuts.
Votre métier, votre milieu, votre âge, votre situation personnelle, vos étapes de vie, sont autant de questions pour lesquelles un gestionnaire de patrimoine peut sembler intrusif dans son approche. Notre travail consiste à comprendre tous les éléments qui vous caractérisent car ils nous obligent à une réelle réflexion pour ajuster des dispositions et calibrer des ambitions de patrimoine cohérents et qui répondent au mieux à vos intérêts. Au-delà de la technicité inhérente à notre métier, c’est cette capacité à comprendre ce qui vous caractérise qui fait de nous de bons gestionnaires de patrimoine.